Entretiens

la France Cycliste 21 janvier 2000

     

    LAURENCE LEBOUCHER :
    "Notre rôle de Coureur ne se limite pas à appuyer sur les pédales."

     

Première "dame" Championne de France de cyclocross, Laurence Leboucher a bien entamé l'an 2000. La spécialiste du VTT veut poursuivre sur sa lancée en gardant en point de mire une médaille aux Jeux Olympiques de Sydney. Par contre, les prochains Championnats du Monde de cyclo-cross ne constituent pas un de ses objectifs prioritaires, même si elle se rendra aux Pays-Bas avec des ambitions.

    Interview.

    Laurence Leboucher : «99 n'a pas été une saison superbe mais je n’ai pas de regrets, On apprend dans la défaite que lorsque les victoires s'enchaînent.»

    La France Cycliste : Laurence, quel sentiment cela procure-t-il d'être la première femme sacrée Championne de France de cyclo-cross dans l'histoire du cyclisme ?

    Laurence Leboucher: : "C'est toujours bien d'écrire la première ligne du palmarès d'une épreuve. Ce sera une référence pour plus tard surtout que ce titre a été décerné en l'an 2000 à une date symbolique de l'Histoire. J'apprécie d'ailleurs le cyclocross. Ce type d'épreuve nous offre un contact plus direct avec le public qu'en VTT Les courses sont également plus courtes et on n'est jamais à l'abri d'une chute ou d'une crevaison. Au final, cela laisse une marge de manoeuvre assez réduite visàvis des adversaires."

    L.F.C. : Vous avez dédié votre titre à Pascale Ranucci. Qui était pour vous l'entraîneur national des Dames ?

    LL : "Pascale était avant tout une amie. Je connais ses parents. Au dernier Roc d'Azur nous avions fait la fête ensemble. Une confiance mutuelle nous unissait. Quand on m'a appris sa disparition, j'ai eu du mal à y croire. Je l'avais encore vue trois jours auparavant à la soirée des Champions de la FFC et nous nous étions donné rendezvous à Manosque pour évoquer la saison car ce soir là on n'avait pas eu suffisamment le temps de se parler: C'est trop con !"

    «Le VTT, le BMX, la Piste et la Route Décernaient le titre de Championne de France, la seule Spécialité dans laquelle cela ne se faisait pas, c’était le Cyclo-cross."

    L.F.C. : A la fin du mois de janvier, vous disputerez les premiers Championnats du Monde Dames de cyclo-cross. Quelles y seront vos ambitions ?

    LL : "On va voir. Je ne sais pas trop où je me situe par rapport à la hiérarchie internationale. Quoi qu'il en soit, je donnerai le maximum de moimême le jour J, même si je n'ai pas consacré trop d'entraînement spécifique au cyclocross cet hiver. JeanYves Plaisance m'a rapporté que les Néerlandaises préparent cet objectif depuis longtemps mais personnellement, je n'ai pas épluché les résultats des filles lors des dernières manches de Coupe du Monde de cyclocross. On m'a également dit que Kupfernagel, l'Allemande, marchait fort. Je ne vois pas qui elle est. Je sais que c'est une excellente routière, mais ça mis à part... Tout peut arriver le jour des Championnats du Monde. Néanmoins, j'ai un avantage par rapport à mes adversaires. Ce Mondial ne constitue pas un de mes grands objectifs de la saison et je vais aborder sans la moindre pression sur les épaules. Je n'ai rien à perdre moi..."

    L.F.C : On dit que le circuit de Sint-Michel est très roulant et peu technique. Ce point voua inquiète-t-il ?

    LL : "Quand ça roule fort, le parcours devient forcément technique. On arrive vite sur les obstacles, les planches, et cela devient technique. Quand on fait des efforts physiques à bloc, on commet plus facilement des erreurs. Mais j'avoue que j'aurais préféré un circuit plus technique parce que physiquement je ne suis pas encore à 100 % de mes possibilités. Je ne suis pas encore au top de ma forme."

    L.F.C. : Que pensez-vous de l'arrivée des dames dans le cyclo-cross ?

    LL : "Je pense que cela redonne vie à la discipline. Il vaut toujours mieux ajouter une catégorie plutôt que d'en supprimer une! On a répété ces derniers hivers que le cyclo-cross était une spécialité en perte de vitesse, que le VTT lui faisait concurrence... On a pourtant pu voir à Manosque que pas mal de vététistes étaient engagés pour ces Championnats de France de cyclocross. Maintenant, ce sont eux qui constituent la masse en cyclo-cross l'hiver. Cela se vérifie au niveau national comme au niveau régional. Les garçons nous ont bien accueillies, nous les filles. La plupart font du VTT et on les côtoient déjà l'été. Ils n'ont donc pas été choqués de nous voir armer cet hiver sur des vélos de cyclo-cross, surtout que nous n'avons pas été ridicules. Tenez, un exemple, lors des championnats régionaux, quand les commissaires m'ont arrêtée au terme de la durée de l'épreuve féminine, j'occupais la cinquième place en série Juniors. Ça signifie que nous avons notre place dans cette discipline. Et puis le VIT, le BMX, la piste et la route décernaient un titre de Championne de France, la seule spécialité dans laquelle cela ne se faisait pas, c'était le cyclo-cross."

    LE C. : Si vous devenez Championne du Monde de cyclocross, quelle valeur accorderez-vous à ce titre ?

    LL : "Si je gagne aux PaysBas, le maillot et le titre auront autant de valeur qu'un autre titre de Championne du Monde. J'ai été Championne du Monde de VTT et je sais ce que ça représente. Si je gagne en cyclo-cross, je savourerai plus encore la victoire que lors de mon sacre au Canada en 1998. Quand on devient Championne du Monde pour la première fois, on ne se rend pas compte de ce qui arrive. On ne le réalise vraiment que lorsqu'on a perdu le maillot. La seule chose que j'ajouterai au sujet du rendez-vous de Sint-Michielsgestel, c'est que ce jour là j'essayerai de faire la course la plus tactique possible..."

    LE C. : Cet hiver, vous semblez être à nouveau impériale comme en 1998. Que s'est-il passé en 1999 ?

    LL : "Il y a eu une conjonction d'un tas de circonstances qui ont fait que je n'ai pas marché l'an passé. Premier point, j'ai coupé plus d'un mois durant l'hiver et cela ne m'était jamais arrivé auparavant. J'ai profité de la vie, petits restaurants par là, petits plats par ci, sans oublier les desserts. J'avais besoin de me lâcher après mon titre car j'avais fait le métier comme jamais durant toute l'année. J'ai aussi changé d'équipe et il fallait que j'apprenne l'anglais, pas celui de l'école mais celui qui allait me permettre de me débrouiller au sein de ma nouvelle formation. Au mois de mars, j'étais bien mais j'ai dû démarrer l'entraînement trop vite. J'ai obtenu des résultats avec les nationaux sur la route. Je participais aux échappées avec les coureurs de série régionale. Et puis lors de mon premier voyage aux USA, j'ai grossi. Je n'arrivais plus à récupérer. On s'est aperçu qu'un vieux problème thyroïdien venait de se réveiller. Je continuais à m'entraîner alors que cela n'allait pas. 99 n'a pas été une saison superbe mais je n'ai pas de regrets. On apprend plus dans la défaite que lorsque les victoires s'enchaînent. Là, j'ai tout mis à plat et j'ai dressé le bilan qui s'imposait. Seul point intéressant de cette année : je conserve mon titre de Championne de France de cross-country alors que je n'étais pas la plus forte Je gagne au métier. C'est peutêtre à mes yeux la victoire qui a le plus de valeur. Ça restera un grand souvenir de ma carrière..."

    L.F.C. : Le rendez-vous majeur de l'an 2000 est fixé à Sydney. Pensez-vous déjà aux Jeux Olympiques ?

    L.L : "Non, je n'y pense pas pour l'instant. C'est encore loin le mois de septembre. II ne faut pas trop s'affoler. Ça va venir au fur et à mesure. Bien évidemment, les Jeux Olympiques sont dans un coin de ma tête mais sans pour autant que cela vire à l'obsession. Il faut tout d'abord être sélectionnée. Je pars toujours du principe que l'on n'est jamais sélectionnée d'office. Ensuite, il faut également marcher. Si on va aux Jeux sans "marcher", cela ne sert à rien. Mon objectif est de ramener une médaille. Je pense en avoir le potentiel. J'ai déjà été Championne du Monde, Championne d'Europe, j'ai gagné des manches de la Coupe du Monde de VTT, les Jeux Olympiques ce n'est pas plus dur que ces épreuves là. L'essentiel, ce sera que tout aille bien le jour J : la tête, les jambes et le vélo. Le circuit en plus me plat. C'est un vrai toboggan. Ça ne cesse de monter et de descendre tout le temps comme au Mont St Anne. Les temps de récupération sont comptés. J'apprécie vraiment ce genre de parcours où tout se fait à l'usure. La tactique sera également prépondérante. II faudra se montrer malin, courir comme sur la route et posséder une bonne petite expérience."

    L.F.C. : que vous deveniez championne olympique de VTT en Australie quels rêves sportifs pourriez-vous encore nourrir par la suite ?

    LL : "Championne Olympique ou pas, je continuerai encore le cyclisme pendant quatre ans. J'ai déjà été sacrée Championne du Monde de VTT et ce n'est pas pour cela que le Mondial ne me motive plus. Si je m'écoutais, je viserais toutes les courses, toutes les victoires. J'ai du mal à me freiner. Mais comme je commence à vieillir un peu, je suis plus sage et l'expérience me dit qu'il faut sélectionner des pics dans une saison, ne pas tout faire à 100%. Lorsqu'on est jeune, on a du mal à se mettre dans la tête cette chose là, on aime bien gagner. J'adore toujours autant le sentiment que procure la victoire, mais je sélectionne plus. Même si c'est encore dur pour moi."

    L.F.C. : Vous avez pourtant ajouté un objectif supplémentaire à votre saison 2000 en pronant votre candidature à une sélection pour les Championnats du Monde sur route à Plouay Pourquoi ?

    LL : "Ça, c'est un rêve qui peut devenir réalité. Je l'espère en tout cas. Plouay, c'est un Championnat du Monde que j'ai envie de vivre. J'imagine que cela va être de la folie avec tout le public qui se déplacera. J'ai vécu le Mondial sur route de Stuttgart et je me rappelle qu'il y avait trois rangées de spectateurs. II y avait des Suisses qui faisaient un barouf d'enfer avec leurs cloches. J'avais dix neuf ans à l'époque et ce souvenir reste très fort. Mais je pense que, pour tous les concurrents, Plouay sera encore plus fort émotionnellement. Si je suis sélectionnée pour cette course, je ne revendique rien sinon donner un coup de main à l'équipe. Les filles qui font de la route toute l'année sont prioritaires sur moi. Mais je sais aussi que chez les Dames, si aujourd'hui on ne court pas en équipe, on ne peut pas espérer grand chose. Au niveau international, il faut rouler soudée. Jeannie Longo a besoin d'être épaulée lors des Championnats du Monde pour faire front face aux Lituaniennes, aux Russes et aux Italiennes. La France est capable de courir en équipe. Il n'y a pas de raison. Si on a besoin de redorer le blason du cyclisme féminin, c'est là, à Plouay, qu'il convient de le faire. Moi, mes meilleurs souvenirs sur route sont des victoires obtenues en équipe avec Sophie Eglin-Hosotte à la mi Août Bretonne et avec Sandra Temporelli au Tour de la Drôme en 98. Là, c'était de vraies courses d'équipe."

    LE C. : Justement vous parlez de Sandra Temporelli, c'est votre rivale sur un vélo et pourtant dans la vie c'est votre amie. N'est-ce pas un peu paradoxe! ?

    LL : "Sur un vélo on est rivales. Après, on arrive à être copines. C'est la plus forte qui gagne, voilà tout, je ne lui fais pas la gueule si elle me bat et inversement. C'est comme le rôle de coureur, pour moi il ne se limite pas à appuyer sur les pédales. On doit représenter autre chose pour les sponsors qui nous embauchent. La communication, les relations publiques, c'est aussi notre devoir. C'est ainsi qu'il faut se comporter quand on est coureur cycliste, professionnel de surcroît

    LF.C : Une question, Laurence est-ce que vous pouvez me parler de vos ânes ?

    LL : "Comment vous savez ça, vous ? Oui, c'est vrai, j'ai deux petits ânes. Galopin et Galopine qui vont avoir un petit en l’an 2000. Les ânes, c'est cool, cela fait des économies de tondeuse ! Ils sont du Cotentin avec la croix blanche sur le front. Ce sont mes parents et mon oncle qui s'en occupent quand je suis sur les courses. Je vais même vous raconter une anecdote que seuls Sandra Temporelli et le kiné de l'équipe de France connaissent. En 98, quand il était encore seul, Galopin avait tendance à mordre. Quelques jours avant le Mondial au Mont Ste-Anne, il m'a mordu les deux pouces. A cause de ça, j'avais même failli changer mes poignées de changement de vitesse XTR contre des gripshifts. Mais je me voyais mal dire à mon team qu'il fallait que j'opère ainsi un retour en arrière à cause d'une morsure d'âne. J'ai eu un mal fou pendant une semaine. Heureusement, ça a passé. Mais j'ai eu chaud sur ce coup là !"

 

Propos recueillis  Par Hervé Bombrun